Une séduction codée
BENOIT HIGEL

Des milliers d’emballages chatoient dans les rayons des supermarchés. Objets familiers, ils encombrent nos placards et nos réfrigérateurs, sans qu’on les regarde avec attention. Leur conception est pourtant très savante : couleur, forme et graphisme en constituent le langage, dont ce dossier tente de décoder la grammaire.

Devenu une activité économique à part entière, l’emballage met en œuvre un grand nombre de métiers aux interactions complexes. Producteurs, hommes de marketing, designers et distributeurs mettent au point de nouveaux procédés de fabrication, inventent des formes conviviales ou originales, associent des images séduisantes aux produits pour déclencher l’acte d’achat. L’histoire de cette pratique, toute récente, s’accélère et se professionnalise dans la dernière moitié du XXe siècle, grâce surtout à la pression constante et conjuguée des modes de distribution et de la mondialisation des marchés.

UNE HISTOIRE DE RÉCIPIENTS
On sait que, dans la plupart des cultures, les hommes ont utilisé des récipients pour stocker et transporter les denrées nécessaires à leur consommation. Les ancêtres de l’emballage que sont les jarres en terre cuite, les flacons de verre, les sacs de jute et autres pots métalliques avaient la particularité d’être non spécifiques à un produit et réutilisés un grand nombre de fois. L’origine du mot est d’ailleurs le paquet de marchandises enveloppé de tissu et lié par des cordes, que l’on appelait une balle. Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, le développement du commerce n’a pas changé fondamentalement les pratiques de distribution. Les articles sont le plus souvent présentés en vrac et le commerçant, épicier, quincaillier, apothicaire, boucher… détaille sa marchandise, c’est-à-dire qu’il pèse ou découpe les quantités voulues par le client, avant de les empaqueter. La différenciation des produits se fonde alors sur la réputation du producteur, sur la capacité du vendeur à vanter sa marchandise et sur le savoir-faire du client pour en apprécier la qualité. Acheter le bon fruit, les œufs frais, le tissu solide est affaire d’expérience : la ménagère observe, tâte, soupèse, goûte, hume, marchande, toutes opérations qui prennent un certain temps…
Lors de la Première Guerre mondiale, apparaissent les premiers emballages individuels : la distribution d’aliments sous forme de rations préalablement dosées permet un approvisionnement rapide des soldats grâce à un format pratique. La dépression de 1929 accélère encore ce phénomène : la population n’a plus les moyens d’acheter le nécessaire en grande quantité. En Angleterre sont créés les magasins Woolworth dans lesquels rien ne coûte plus de 10 cents : le dentifrice, fabriqué sous forme de pâte, et non plus en poudre, est contenu dans un tube souple ; la bière se distribue dans les premières canettes. Entre les deux guerres, la société subit de profonds bouleversements avec la participation accrue des femmes au monde du travail salarié, la disparition progressive du personnel domestique, l’augmentation du temps consacré aux loisirs.

Une affaire de mesure
Parmi les facilités qu’apportent les packagings dans la vie des consommateurs, les nombreux systèmes qui permettent le dosage des produits sont particulièrement utiles : graduation le long de la fenêtre transparente d’un sachet, bouchon ou tube doseurs, conditionnements selon différents formats, du paquet familial aux doses individuelles… Les raisons du succès de ces derniers sont nombreuses : ils correspondent à des pratiques de consommation de plus en plus répandues (grignotages, voyages), ils sont hygiéniques (d’où leur utilisation dans le domaine pharmaceutique) et, en apparence, économiques (on gâche moins de produit en utilisant seulement la dose nécessaire, même si les consommateurs avertis constatent une importante différence de prix au kilogramme). Dans les pays en voie de développement, les minidoses permettent d’ailleurs à des populations à faible pouvoir d’achat de disposer d’articles qui leur seraient inaccessibles en grande quantité, comme le shampoing. Les packagings adaptent les quantités aux besoins des consommateurs : un sachet de riz, contenant un poids net de 250 grammes, précisera que cette dose correspond aux besoins de 4 personnes. Ils peuvent aussi créer de nouvelles façons de consommer : individualisation des repas familiaux, usage unique des flacons de médicaments ou de cosmétiques… Quelle que soit la dose proposée, la quantité de produit vendue doit correspondre à la quantité mentionnée sur les emballages et les industriels sont tenus de contrôler leurs procédés de remplissage. La direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) est chargée, en France, d’opérer la vérification des appareils de métrologie.
Bien qu’une marge d’erreur soit tolérée, les producteurs ont tendance à surdoser légèrement par sécurité.

L’ESSOR DE LA DISTRIBUTION
Après la Seconde Guerre mondiale, le développement économique et l’essor de nouveaux modes de distribution entraînent des transformations plus radicales de l’emballage. Le libre-service introduit de nouveaux comportements : le consommateur doit sélectionner seul les articles qu’il veut acheter parmi une multitude de choix possibles. Les produits sont préemballés par le producteur dans des quantités définies et adaptées au rythme de consommation. Le contenant devient le support de messages adressés au consommateur à travers des stratégies commerciales de plus en plus raffinées : emballages plus gros et colorés, étiquettes simplifiées et plus lisibles, coupons de réductions, offres spéciales… Les emballages jetables tendent à remplacer ceux que l’on récupérait auparavant, comme les verres consignés. Le temps passé à faire les courses ne cesse de se réduire et les distributeurs rationalisent l’aménagement des rayons dans leurs magasins. La fréquence de l’acte d’approvisionnement diminue elle aussi, et les grandes surfaces détrônent peu à peu le commerce traditionnel. La multiplication des intermédiaires rend indispensable le recours à l’emballage pour le transport et la manipulation des marchandises. Depuis les années 1960, le développement de la publicité, de la restauration rapide, l’équipement des ménages en réfrigérateurs puis en congélateurs, le progrès technologique dans la fabrication de matériaux comme la Cellophane, l’aluminium ou le plastique, conduisent à une diversification accrue des formes et des styles d’emballages.
Parallèlement, les procédés de fabrication des emballages évoluent aussi dans le sens d’une automatisation de la chaîne de conditionnement : découpe et pliage des matériaux, moulage ou thermoformage des plastiques, remplissage en atmosphère aseptisée, encapsulage étanche… On sait désormais imprimer pratiquement sur tous les supports, qu’il s’agisse de films plastique, d’aluminium ou de verre. Des technologies telles que l’offset, ou plus récemment la flexographie, permettent d’obtenir la restitution fidèle d’un plus grand nombre de couleurs : la photographie remplace alors avantageusement illustrations et motifs dessinés. Dorénavant, plus personne ne s’étonne d’acheter des produits dont on ne peut voir directement l’aspect. De nouvelles préoccupations apparaissent, comme celle du recyclage des matériaux, rendu nécessaire par les quantités considérables d’emballages jetés quotidiennement.

DES FONCTIONS D’USAGE
Les fonctions essentielles de l’emballage sont d’abord techniques puisqu’il s’agit la plupart du temps de conserver et de protéger un produit depuis la chaîne de conditionnement jusqu’à son rangement par le consommateur. Aujourd’hui, les fabricants jouent sur une palette de matériaux très large (carton, verre, métal, plastique) et les combinent pour tirer le meilleur parti de leurs propriétés physiques et chimiques. L’emballage primaire (voir Repères) d’un produit alimentaire doit être compatible avec le contenu et préserver l’intégrité du produit en résistant aux chocs, à la chaleur ou au froid, en étant inaltérable et neutre du point de vue du goût, en assurant une barrière hermétique au gaz, à l’eau, à la lumière, aux contaminations bactériologiques. Un critère important dans la réussite d’un emballage est aussi d’être d’un usage aisé, et la forme des produits créés s’attache de plus en plus souvent à résoudre des problèmes pratiques : perforation, adhésif, languette pour faciliter l’ouverture d’une boîte ou d’un sachet, anse permettant le transport d’un pack d’articles, système aidant au versement ou au dosage correct d’un produit, aptitude au recyclage… Les industriels sont à la recherche constante d’innovations qui permettront d’améliorer le service rendu au consommateur, mais aussi de limiter le coût de revient du packaging. Dans la fabrication des bouteilles d’eau minérale, par exemple, le remplacement du plastique de type polychlorure de vinyle (PVC) par du polyéthylène téréphtalate (PET) plus solide a permis de diminuer notablement les quantités de matériau utilisé et donc d’économiser sur la matière première.
L’emballage joue enfin un rôle important dans la distribution des produits. Il permet de regrouper des articles et donc de rationaliser transport et manutention. En adaptant le poids et le volume des produits aux besoins du consommateur, il détermine surtout les quantités par unité de vente. Or la tendance à parcelliser et à individualiser les doses est une bonne affaire pour les producteurs : plus la quantité est petite, plus la part de l’emballage par rapport au produit lui-même est grande et plus la marge commerciale est importante.

LE LANGAGE MARKETING
Bien rangés dans les linéaires des magasins en libre-service, les produits sont leurs propres vendeurs silencieux et doivent faire la preuve de leur différence dans un univers saturé par la concurrence, puisque certaines grandes surfaces proposent jusqu’à 30 000 produits différents. Le consommateur, accompagné de son chariot, avance à la vitesse d’un mètre par seconde le long des rayons, revient rarement sur ses pas et perçoit dans son champ visuel plus de soixante marques : on estime qu’il dispose d’environ un tiers de seconde pour repérer un packaging. Par ailleurs, au cours de la journée, il entend, en moyenne, plus de 800 mots, perçoit quelque 20 000 stimuli visuels et voit environ 2 000 images. Or on sait aussi que plus les stimuli se développent, plus la capacité de filtrage de l’individu s’aiguise. On comprend alors que, du point de vue des industriels, l’objectif principal du packaging est de se signaler immédiatement et d’éveiller l’intérêt.
Dans ce contexte, la première fonction commerciale de l’emballage est de rendre clairement identifiables les produits. Pour ce faire, la marque est la principale clé d’entrée : centre du motif sur le packaging, elle renseigne sur ce qu’est le produit et lui confère une personnalité. Nom de la société ou nom de produit, les marques se déclinent presque à l’infini. Au rayon des yaourts, on rencontre Yop, Fructos, Velouté, Panier ou Zap signés par Yoplait ; Danette, Fjord, Bio présentés par Danone ; La laitière, Kremly proposés par Nestlé, pour ne citer que ces exemples… Au point que la gestion des portefeuilles de produits devient un véritable casse-tête pour les grandes firmes. C’est la raison qui a poussé Unilever à supprimer 1 200 de ses marques sur un total d’environ 1 800, dans le but de concentrer sa stratégie de communication. Autre phénomène important depuis les années 1970, les distributeurs commercialisent des produits « libres » ou sans marque, c’est-à-dire vendus sous leur propre enseigne : les produits sont alors nommés prosaïquement purée au lait, jus d’orange de Floride, yaourt brassé… Car développer des marques propres suppose de soutenir un discours spécifique, ce qui multiplie les investissements.
L’emballage doit aussi faire bonne impression par le jeu d’une multitude de signes qui l’associent à un univers d’émotions, conforté le plus souvent par la publicité. Pour un produit alimentaire, on privilégie la richesse du goût, l’évocation de l’enfance ou d’un talent culinaire particulier. S’il s’agit d’un produit cosmétique, tous les détails font sens : la forme du packaging, mais aussi la texture du matériau, l’épaisseur du film Cellophane qui l’entoure, jusqu’au bruit qu’il fait lorsqu’on le déchire.
Cet ensemble complexe d’éléments significatifs permet au consommateur de se représenter et de se remémorer l’emballage.
Enfin, le packaging a l’obligation de présenter une information complète et claire sur le produit, sans induire le consommateur en erreur. Dans ce domaine, les contraintes sont légion : emplacement imposé pour l’inscription d’une date limite de consommation, impossibilité d’imprimer le code barre dans une autre couleur que le noir sur fond blanc pour permettre une lecture correcte par le crayon optique… Dans le cas des produits alimentaires, un grand soin est apporté à la rédaction de la liste des ingrédients, visée par un spécialiste, de même pour les conseils de préparation et de conservation. De nombreuses marques font figurer des numéros verts, des sigles comme celui de la taxe Éco-emballage, des labels censés évoquer une qualité supérieure (agriculture biologique, garantie sans OGM). Ces mentions, souvent placées au dos de l’emballage, font que cette surface gagne en importance et devient un véritable enjeu de communication pour les marques.
Tout l’art du créateur d’emballage est de rendre cohérent et lisible cet ensemble de signes sans trahir cependant l’esprit de la marque qu’il sert. Il organise tous les éléments de sorte que leur mise en œuvre soit originale, en intégrant aussi bien les données techniques que les enjeux marketing. Avec, pour concrétiser ses idées, trois composants de base : la couleur, le graphisme et la forme.

Le registre des sensations
Traditionnellement, l’emballage attire l’attention en jouant sur l’apparence visuelle. De nouvelles préoccupations voient le jour pour contenter d’autres domaines sensoriels, peu stimulés jusqu’à présent. Sous l’impulsion de l’industrie de luxe, l’aspect des surfaces, le bruit mélodieux ou le parfum agréable étendent petit à petit leur territoire jusqu’aux produits alimentaires. Ainsi, le sens du toucher est valorisé par l’utilisation de gaufrages ou de vernis, les impressions imitant les gouttes d’eau, les grains veloutés se généralisent sur toutes sortes de supports grâce aux progrès des technologies. La texture des matériaux permet d’améliorer le confort de la prise en main autant que l’aspect satiné, brillant ou brut de l’emballage, selon qu’il doit évoquer la tendresse, la sophistication ou le naturel. Les producteurs travaillent davantage à la mise au point sonore des produits : « glouglou » des bouteilles et « clic » de fermeture donnent lieu à de savantes études. Le sens de l’ouïe constitue, en effet, un élément particulièrement révélateur de la qualité du produit. L’odorat est plus fréquemment sollicité : la technique des microcapsules de cellulose permet d’enfermer des fragrances à l’intérieur d’un matériau, l’odeur ne se libérant que par froissement. C’est ainsi que l’on parfume déjà la lingerie féminine et bientôt peut-être le linge de maison. Les emballages stimulant le goût relèvent encore de l’expérimentation, sinon de la fiction, et il n’est pas évident de se convertir à la dégustation des emballages après avoir consommé leur contenu.
Mais en attendant que les packagings se mettent à parler, ils éveillent presque tous nos sens afin de mieux nous convaincre du caractère luxueux, original ou ludique des produits.

L’UNIVERS DES COULEURS
Élément fondamental du dispositif packaging, la couleur possède ce grand avantage de ne nécessiter aucun effort de notre part. L’œil humain est capable de percevoir plusieurs milliers de couleurs, même si nos facultés en la matière sont plus ou moins développées selon notre environnement et notre culture. Les Chinois sont particulièrement sensibles aux nuances de rouges foncés, les Esquimaux discriminent plusieurs centaines de blancs et les citadins apprécient d’innombrables tons de gris. On ne peut donc parler de symbolique universelle des couleurs, ce qui ne va pas sans créer des problèmes aux concepteurs qui cherchent à proposer des emballages standardisés dans une économie en voie de mondialisation. Il est permis de craindre que cette circulation des couleurs associées aux produits ne conduise à une certaine uniformisation des goûts. À moins qu’un emploi par trop spécifique ne finisse par limiter l’utilisation d’une couleur. Ainsi l’entreprise Coca-Cola a déposé la formule de son rouge, si bien que cette teinte, connue d’un bout à l’autre de la planète, ne se trouve en l’état dans aucun nuancier. Plus modestement, le jaune moutardé de la FNAC est une couleur si difficile à réutiliser qu’elle identifie complètement la marque.
Ces préalables étant posés, il est possible de brosser à grands traits les significations de la couleur dans notre culture occidentale. Il apparaît que le bleu est la couleur préférée de plus de la moitié de la population européenne, loin devant le vert avec seulement 20 % des suffrages et le rouge cité dans moins de 10 % des cas. Le bleu est une couleur apaisante, évocatrice de rêve ou d’infini, qui représente l’amour et la fidélité, le froid et l’eau. Il semble que ce soit justement parce qu’elle fait l’unanimité qu’elle n’est pas trop marquée symboliquement. Consensuel et pacifique, le bleu a été choisi pour le drapeau européen. Exceptionnellement utilisé dans les produits alimentaires, il renforce le sérieux de la pharmacie (c’est la couleur des calmants) ou la fraîcheur de la menthe.
Le vert symbolise l’espoir, le renouveau de la nature, mais aussi le destin, le hasard du jeu, la chance. C’est aussi la couleur de l’étrange, celle des « petits hommes verts ». Malgré cette ambivalence, les packagings retiennent surtout les valeurs positives du vert et l’utilisent lorsqu’il s’agit d’évoquer le naturel, la jeunesse, la bonne santé et la liberté.
Le rouge, couleur par excellence en raison de son impact sur la rétine, n’a pas cette dualité. Il est le symbole du feu et de la vie, du sang et de la passion, de la puissance et de la fête, mais signale aussi le danger et l’interdiction. Cette richesse de sens en fait une teinte particulièrement intéressante pour le packaging et ses utilisations sont innombrables, particulièrement dans l’univers masculin.
Le jaune, couleur de la lumière et de la chaleur, de la prospérité par association avec l’or et le blé, symbolise aussi l’intelligence et parfois la différence jusqu’à la bizarrerie. La teinte orangée véhicule des valeurs de santé et de dynamisme et peut s’utiliser comme substitut de l’or. À la frontière du jaune et du rouge, et par là même synonyme de polychromie, elle peut servir à représenter la séquence des couleurs de l’arc-en-ciel. Difficile à restituer techniquement, elle reste une couleur peu aimée pour les emballages. Lorsqu’elle tire vers l’ocre et le Sienne, elle est toutefois susceptible de dégager une impression de douceur.
Associé à la mort et au péché, à la mélancolie et à l’austérité, le noir est peu utilisé en packaging sinon pour figurer une certaine sobriété de l’avant-garde et du luxe. À cette couleur dure et marquée, les designers préfèrent souvent les valeurs de gris qui contrastent moins fortement. Le blanc est beaucoup plus fréquemment utilisé, notamment dans les cosmétiques et la pharmacie, pour ses valeurs de pureté et d’hygiène.

La diversité des cultures
Sur leurs emballages, les entreprises multinationales recherchent des messages reconnaissables à travers les frontières tout en respectant les particularités locales. Chaque élément du vocabulaire packaging – signe, couleur ou forme – étant interprété différemment selon la culture, une présentation par trop standardisée ne pourrait que nuire à la stratégie commerciale des industriels. Prenons l’exemple du café : cette boisson quasi universelle s’apprécie selon des modes de consommation variables, qui constituent parfois de véritables rituels : café expresso ou long, noir ou au lait, quand il n’est pas capuccino, brûlant ou glacé…
L’emballage du café présentera des éléments communs – graphisme de la marque, couleur de la tasse ou du décor – et se différenciera par des variations subtiles qui s’appuient sur les goûts propres à chaque pays.
La soupe en sachet fournit un autre exemple d’adaptation des codes graphiques aux spécificités culturelles. Présentée à l’intérieur d’une louche en France parce qu’il en faut assez, la soupe est contenue dans une cuillère, signe de raffinement, sur les emballages allemands. Au Japon, plus question de louche, de cuillère, ni même d’assiette pleine à ras bord. Il suffit d’un petit bol et d’un code de couleur évoquant la fraîcheur : la soupe est ici une simple entrée, digeste et légère. Seules quelques marques bénéficient d’une telle notoriété qu’elles peuvent imposer leur code aux consommateurs du monde entier. Ainsi, bien qu’elle adapte l’architecture de ses magasins ou la composition de ses sandwichs, la marque McDonald’s n’a nul besoin de transformer le symbole qui la représente. De même, Coca-Cola traduit son nom dans tous les alphabets de la planète, mais conserve le graphisme et la couleur qui font que ses bouteilles et ses canettes sont immédiatement identifiables.

LE FOND DE LA FORME
La forme d’un emballage est reconnue immédiatement après la couleur, ce qui en fait un élément essentiel de la différenciation des produits. Moins puissante sur le plan symbolique, elle fait appel à des référents archaïques et concrets qui ont un impact sur nos sens. Prenons l’exemple de la bouteille de Perrier : sa forme en goutte d’eau lui confère une identité tellement forte que l’on pense toujours à Perrier même si la bouteille est colorée en bleu, comme l’a fait une marque suédoise. Il existe d’ailleurs une codification des formes qui facilite le travail de reconnaissance des consommateurs autant qu’elle contraint l’imagination des designers : pour vendre un camembert, rien ne vaut mieux que de le présenter dans une boîte ronde ! Cependant, les producteurs mettent de plus en plus l’accent sur l’habillage pour personnaliser les multiples produits abrités par la même marque ombrelle (voir Repères) et pour afficher des différences fortes par rapport à la concurrence. Ainsi, par exemple, Canard WC a conquis une position de leader en quelques années sur un marché traditionnellement atomisé, avec la création d’une forme originale : la tête de canard qui nettoie dans les recoins. Outre un bénéfice pour le consommateur, cette particularité apportait une charge affective peu fréquente jusqu’alors dans le rayon des produits d’entretien.
La forme est capable de séduire ou d’amuser, invite au geste et au toucher. Mais autant que pour accroître la personnalité du produit, la forme intervient surtout dans son utilisation : allégement des emballages, boîtiers distributeurs, bouchons doseurs, barquettes sécables, flacons galbés pour faciliter la préhension, bouteilles compactables offrant moins de volume dans la poubelle… La recherche de formes spécifiques rend les fabricants d’emballages inventifs, en particulier dans le domaine des matériaux. La tendance est à la combinaison et à la réduction du poids : association de carton, d’aluminium et de vernis avec le procédé Tetra Pak ; recours au plastique PET ou au Barex pour solidifier des bouteilles plus légères ; amélioration de la barrière à l’oxygène et toucher très doux avec l’Orgalloy, alliage de polyamides et de polyéthylène, utilisé en cosmétique… La forme influence aussi l’économie du produit, qu’il s’agisse de coût de production, de stockage ou de distribution. La modification d’une forme débouche souvent en effet sur celle de l’outil industriel et des moules de fabrication, ce qui implique des investissements très lourds. Par ailleurs, la recherche d’esthétisme doit rester compatible avec les cadences de remplissage ou de palettisation, tout en veillant à réduire les coûts de matières premières.
Le graphisme vient souligner le dispositif de la forme et, dans ce domaine aussi, les évolutions techniques importent : nouvelles polices de caractères, recherche de procédés pour restituer les signes sur tous les supports.

UN SECTEUR DE POINTE
Les trésors d’inventivité qui sont souvent nécessaires pour industrialiser les packagings en font un secteur d’activité très dynamique en recherche et développement. Il faut compter aussi sur la pression de nouvelles réglementations européennes, comme, par exemple, le projet de taxe Éco-emballage calculée au prorata du poids de l’emballage qui, s’il venait à s’aligner sur la norme allemande, conduirait à quadrupler le montant de la taxe. Emballer un produit est donc devenu en un peu moins d’un demi-siècle une activité économique importante. C’est désormais le huitième secteur économique français, avec 1 400 entreprises qui génèrent quelque 120 milliards de francs de chiffre d’affaires. L’ensemble du secteur est tiré vers la performance et les procédés de fabrication s’orientent vers la haute technologie : découpe laser, matériaux multicouches, impression hexachromique, c’est-à-dire travaillant à partir de six couleurs de base, pour restituer de nombreuses nuances. Et, quand on sait que l’emballage est susceptible à lui seul de faire progresser les ventes de plus de 20 %, on comprend que les producteurs n’hésitent pas à commander régulièrement le lifting (voir Repères) de leurs produits. La durée de vie moyenne d’un packaging était de huit à dix ans au début des années 1980 ; elle n’est plus que de trois à cinq ans actuellement et ceux qui sont seulement âgés de cinq ans font déjà figure d’ancêtres !
Selon une étude récente, 87 % des consommateurs attendent d’un emballage qu’il soit facile à transporter, 55 % qu’il soit facile à saisir et d’ouverture aisée, 50 % qu’il soit écologique, 38 % qu’il apporte une solution aux problèmes de stockage. Les grandes tendances des prochaines années seront certainement liées à une quête d’informations fiables : le consommateur ne se laisse plus leurrer par un simple changement dans l’aspect des produits, il est de plus en plus attentif au contenu des étiquettes et demande des assurances quant à la qualité et à l’origine des ingrédients. De même, il teste les améliorations pratiques et abandonne rapidement celles qui ne lui donnent pas satisfaction. L’acheteur recherche aussi le plaisir de consommer : s’il est sensible à l’originalité et à la créativité, il ne dédaigne pas les formes conviviales et pratiques, ni la douceur des surfaces et des couleurs. Les formes tendent vers l’épure, les signes se simplifient. La marque est plus présente, augmentant la rapidité de perception. Entre sophistication des messages et rationalisation des productions, l’emballage devrait donc continuer son œuvre de séduction et d’invention auprès des consommateurs pressés que nous sommes. Le respect de l’environnement est aussi un argument promis à un bel avenir : l’obligation de recycler les trois quarts des emballages en 2002 devrait conduire les industriels à trouver des solutions pour réduire encore les quantités de matières premières utilisées. Gageons que la recherche de compromis entre toutes ces composantes diversifiera la palette déjà richement colorée des créateurs.

La mise en boîte des héros
Les nombreuses figures imaginaires qui attirent l’attention sur certains emballages prennent à l’évidence pour cible les enfants. Depuis la mascotte propre à certains industriels comme le Capitaine Choc de Vandame ou le Prince de Lu jusqu’aux personnages empruntés au dessin animé et à la bande dessinée comme Batman, Mickey ou Fantasio, ces héros ont une fonction bien précise. Ils rompent avec une structure graphique traditionnelle et animent le packaging ; ils permettent aussi l’appropriation d’une notoriété acquise hors de l’univers commercial au bénéfice de la marque qui les accueille. Jouant sur leur capital de sympathie auprès des jeunes, ces « totems » ont évidemment pour but de doper les ventes. Or il ne suffit pas d’apposer une image de Mickey sur un produit pour assurer son succès.
Les personnages deviennent de bons porte-parole lorsque leur identité graphique et leur histoire font sens avec celles du produit lui-même. D’autre part, l’utilisation de figures très bien connues à l’échelle d’un pays peut constituer un frein à la diffusion multinationale des produits. Il y a quelques années, les responsables packaging de Nesquik ont préféré ainsi remplacer sa mascotte originale par un lapin supposé plaire davantage au public européen de la marque. En même temps, le développement planétaire de l’industrie du dessin animé restreint le nombre des héros reconnus par les enfants.
Un autre risque guette le producteur : le personnage peut devenir la seule star de l’emballage et cannibaliser la marque dont il est censé faire la promotion. C’est pour cette raison que les figures ayant acquis une grande notoriété servent seulement lors des promotions d’une durée relativement courte.

© SCÉRÉN – CNDP
Créé en juin 2000 – Tous droits réservés. Limitation à l’usage non commercial, privé ou scolaire.