Design et packaging responsable / LE DEVOIR
Une directive européenne exige la réduction à la source du poids des emballages
Marie Lambert-Chan
Édition du samedi 22 et du dimanche 23 décembre 2007
Au Québec, « il y a des efforts modestes, mais tout reste à faire »
Presse-Citron a mis au point un «packaging brun» fait entièrement de carton ondulé pour l’entreprise à la fibre écologique Les Pagaies du Gourmet. Photo: Presse Citron
L’emballage est l’une des plus grandes sources de pollution… et de frustration pour les milliers de consommateurs qui se blessent chaque année en tentant d’en venir à bout. Il est impossible d’éradiquer l’emballage, mais on peut cependant sensibiliser ses créateurs et ses producteurs. Voici venu le temps du «packaging» responsable.
Parfois attrayant et désirable, souvent banal et fonctionnel, l’emballage passe désormais quasi inaperçu tant il est ancré dans notre quotidien. Pas étonnant alors que les Québécois jettent sans souci 600 000 tonnes de déchets d’emballage chaque année, dont la moitié seulement est recyclée.
Il faut dire que l’emballage est pratiquement une excroissance de la nature humaine, comme l’a observé l’anthropologue Bernard Arcand lors de la conférence d’ouverture du colloque sur «le design et le packaging responsable», qui se tenait à Saint-Étienne les 3 et 4 décembre derniers. «La formulation que l’on trouve dans les premières pages du texte sacré est frappante et parfaitement limpide: « Leurs yeux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus. » […] Si l’on accorde confiance au texte de la Genèse, ce serait là le tout premier cas d’emballage de notre histoire. Adam et Ève, prenant conscience de leur nudité, se fabriquent des ceintures et protègent leur intimité.»
L’emballage incarne ainsi la nécessité de protéger, de sécuriser et d’aseptiser. Logique marchande oblige, c’est aussi une identité et un objet de séduction. À l’ère du suremballage, cette habitude se révèle cependant de plus en plus absurde. À preuve cette anecdote rapportée par M. Arcand: «Un nouvel outil est récemment apparu sur le marché américain: un ciseau rigide en forme de V stylisé et fort élégant dont la seule fonction consiste à couper dans les emballages de plastique thermoformé. Un outil baptisé à juste titre Safe-Cut. […] Le seul problème, c’est que le ciseau Safe-Cut est vendu dans un emballage thermoformé particulièrement rigide et donc quasi impossible à ouvrir!»
Devant un tel fléau, designers, ingénieurs, scientifiques et consultants en marketing se sont mis à réfléchir à l’emballage responsable qui, selon les organisateurs du colloque, devrait «allier des qualités fonctionnelles et esthétiques et faire appel à des matières peu ou pas polluantes, adaptées aux disponibilités et aux conditions locales, le tout à un coût relativement bas».
Un défi de taille quand on sait que le marché annuel mondial de l’emballage s’élève à quelque 400 milliards de dollars, que nombre d’industriels hésitent encore à investir dans l’éco-emballage et que la tendance au suremballage est généralisée.
La tortue…
Le Québec fait pauvre figure dans le domaine de l’emballage responsable si on le compare à la France. «Il y a des efforts modestes, mais tout reste à faire», estime Sylvain Allard. Le professeur à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal demeure toutefois optimiste et considère chaque initiative comme un pas dans la bonne direction. «La loi 102, par exemple, réussit à mettre une certaine pression sur les entreprises», affirme-t-il. Le gouvernement du Québec a voté en 2005 un règlement qui institue un régime de compensation au bénéfice des municipalités qui oblige les entreprises à payer 50% des coûts nets du recyclage.
De rares organisations canadiennes, comme Cascades, ont adopté le discours vert. «Oui, il est difficile et onéreux de faire des produits entièrement recyclés, mais à long terme, nous avons prouvé que l’emballage responsable est économiquement rentable», déclare Roger Gaudreault, directeur général du département de la recherche et du développement de l’entreprise à qui la compagnie a accordé un budget de 47,2 millions de dollars en 2006.
Une poignée de designers tentent aussi de mettre la main à la pâte, mais leur pouvoir d’influence dans la conception et la production de l’emballage demeure faible, à leur grand désarroi. «Si le client n’est pas prêt à payer, je n’arrive à rien, même avec la meilleure volonté du monde», déclare avec lucidité Jocelyn Laplante, designer associé à l’atelier du Presse-Citron, qui a mis au point un «packaging brun» fait entièrement de carton ondulé pour l’entreprise à la fibre écologique Les Pagaies du Gourmet.
«Beaucoup de designers ne se préoccupent pas assez de l’emballage responsable, croit Luce Beaulieu. Pourtant, on a une certaine latitude: on peut et on doit interpeller le client à propos de l’impact du matériel utilisé. On doit s’informer de ce qui se fait sur le marché. C’est notre devoir.» Cette écodesigner est à l’origine du projet Détournement qui réunit 14 designers ayant pour tâche de transformer une demi-tonne non compressée d’emballages — issus de la consommation annuelle de Luce Beaulieu — en objets ou projets d’écodesign.
«Même si nous sommes une petite pierre dans un grand mur, nous nous devons de reconnecter avec notre côté citoyen», lance Sylvain Allard qui sensibilise ses étudiants au packaging responsable depuis quelques années.
… et le lièvre
Mais tout cela demeure trop peu en regard de ce qui se fait depuis bien longtemps de l’autre côté de l’Atlantique. Votée en 1994, une directive européenne exige la réduction à la source du poids des emballages. Au cours des dix dernières années, les emballages de toutes sortes ont été ainsi allégés d’environ 81 000 tonnes au total. Tout packaging est désormais réalisé en fonction de son cycle de vie, c’est-à-dire de la pollution qui sera émise lors de sa production, de son transport, de sa vente, de son recyclage et de sa récupération.
Et comme l’emballage responsable doit être non seulement écologique, mais aussi fonctionnel, les compagnies françaises Auchan et Yves Rocher ont développé des emballages accessibles aux handicapés visuels. Aux États-Unis, Maxwell a conçu des pots à «ouverture facile», en collaboration avec la Arthritis Foundation.
La culture de l’emballage
Mince consolation pour le Québec, la lutte pour un emballage responsable ne fait que commencer. «On est condamné à produire de plus en plus d’emballages, constate le réputé designer français Gérard Caron. Le packaging s’adapte au mode de vie des consommateurs. Or la tendance est à l’individualisme: les gens vivent seuls et les familles sont éclatées. C’est pourquoi les emballages individuels explosent.»
M. Caron voit mal comment on peut changer de telles habitudes, «à moins d’un cataclysme écologique, ce qu’on ne souhaite pas».
Égocentrique et angoissé, l’humain nourrit la culture de l’emballage qui «est une protection contre l’ennui», note Bernard Arcand. «Le produit se retrouve à des centaines d’exemplaires sur les étagères, mais rendu à la maison, il n’y a plus que l’emballage et moi. Contre tout espoir, je souhaite encore une surprise. Comme au jour de mon anniversaire. […] Triste est le monde quand la vie n’est plus un cadeau. L’emballage demeure un instrument de séduction et nous n’avons jamais cessé, depuis Adam et Ève, de souhaiter la séduction à chaque coin de rue. Quand la pilule est amère, il suffit de l’enrober.»
Voilà pourquoi le salut ne peut venir que des consommateurs. «Ça fait déjà 20 ans qu’on leur parle de pollution. Ils commencent aujourd’hui à vouloir payer un petit peu plus pour le développement durable. Cela prend du temps. Mais une fois que le rouleau compresseur du consommateur se met en route, on ne peut plus l’arrêter», rappelle Gérard Caron.